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Sur la route du succès (1984-1986)
La venue de Mark Freedman à la fin du mois d’aout 1986 dans le studio de Northampton avait un but bien spécifique : obtenir de la part des deux créateurs des Tortues Ninja la signature d’un contrat lui permettant de lancer la productions de figurines issues de cet univers encore mal connu. Mais finalement, sa tâche allait être un petit peu plus ardue qu’il ne l’aurait cru. En effet, les co-créateurs avaient déjà été approchés par au moins cinq agents qui leur avaient déjà fait des propositions similaires.
Freedman raconte « Quand j’ai entendu pour la première fois les mots Teenage Mutant Ninja Turtles j’ai fait un bond. Ce nom avait quelque chose de spécial […]. Je savais que je devais représenter les Tortues Ninja et j’aurais signé n’importe quel accord avec eux ».
Il désirait faire un contrat de cinq ans pour pouvoir exploiter au mieux cette nouvelle licence. Freedman était loin d’être un novice. Il avait été formé par Stan Weston qui n’est autre que le créateur des G.I. Joe, qui rappelons-le est le second plus grand succès de l’histoire du jouet, juste derrière Star Wars. Fort de son expérience, il savait que le succès d’un nouveau produit durait environ trois ans. Cela laissait une marge pour la retombée de ce succès et également une possibilité de poursuivre en cas de réussite totale. Laird et Eastman avaient déjà entendus ce type de proposition. Ils avaient besoin d’être réellement convaincus. Les deux dessinateurs étaient heureux de la manière dont ils vivaient, et ne voulaient surtout pas que leurs bébés tombent entre de mauvaises mains. Ils lui laissèrent alors un petit peu plus d’un mois pour trouver un fabricant et ainsi faire ses preuves.
Il partit de Northampton avec un très beau souvenir qui devait l’aider dans cette mission ; une copie originale du premier numéro du comic où les auteurs avaient écrit « va et gagne $1 million, ou oublie ». Outre cela, Freedman commanda à Tony Basilicato, dont Prime Slime Tale venait d’être édité par Mirage Studios, une tortue en caoutchouc de 120 cm de haut. Ces deux produits devaient lui permettre de promouvoir la gamme qu’il désirait tant réaliser (le nombre varie selon le documentaire Turtle Power et le livre Toute l’histoire des Tortues Ninja de 2014). Deux marionnettes avaient été réalisées, l’une pour Kevin Eastman et l’autre pour Peter Laird1. Ce dernier fait un rectificatif du livre Toute l’histoire des Tortues Ninja, où il précise que dans son souvenir, Mark Freedman n’a jamais demandé à Basilicato de lui réaliser deux marionnettes. Dans son souvenir, au contraire il aurait prêté sa propre marionnette à l’agent commercial2.
Cette tâche n’avait rien d’aisée et beaucoup se moquèrent de Freedman et de son pantin. Il paraîtrait même que Disney aurait entendu parler de son projet sans y accorder le moindre crédit. Après avoir essuyé un certain nombre de refus, comme Mattel qui disait que le concept était ridicule, Freedman contacta un ancien ami avec qui il avait déjà travaillé par le passé sur Taft. Il s’agissait de Richard Sallis, le nouveau directeur de marketing de la branche américaine d’un fabricant qui se lançait dans le jouet depuis peu, Playmates Toys. Il s’agissait d’une petite entreprise de Hong Kong créée en 1966. Le fabricant avait notamment produit des poupées en tous genres au cours de ses vingt premières années d’existence. La dernière à être lancée en 1987 était la poupée Jill, un petit bijou de technologie. Mais le coût bien trop élevé (environ 200$) pour un jouet peu convainquant en fit un échec cuisant (lire l’article détaillé sur Playmates Toys).
Playmates Toys réalisait également des figurines d’actions pour d’autres grandes marques, comme Mattel, mais ne possédait pas ses propres produits. Richard Sallis, le VP marketing de Playmates, estimait qu’il était temps de se lancer sur le marché et de s’émanciper des vieilles traditions et des fabricant plus imposants sur le marché. Accompagné du directeur de la branche américaine du fabricant Bill Carlson, ils écumaient les Comic Con à la recherche d’idées nouvelles. Mark Freedman envoya à son ami un colis dans lequel se trouvaient la fameuse poupée de plus d’un mètre de hauteur ainsi que la dizaine de comics des TMNT sortis jusqu’alors. Tellement impatient d’avoir la réponse de Sallis, Freedman ne cessait de l’appeler pour lui demander s’il avait enfin reçu ledit colis. Sallis était étonné voyant le contenu mais plutôt intéressé. Nous sommes à la fin de l’été ou au début de l’automne 1986. Il fallut alors évaluer le potentiel d’une telle licence. Sallis demanda à John Handy et Karl Aaronian, qui s’occupaient du département marketing de Playmates, ce qu’ils pensaient de ce projet. Il était clair pour eux que si le fabricant devait s’émanciper sur le marché du jouet, ce serait avec quelque chose de novateur. Ce serait certainement avec ces Tortues Ninja !
S’il était plutôt sceptique aux premiers abords, notamment car il n’était pas familier de la licence, Bill Carlson a très vite compris qu’ils tenaient quelque chose. Il explique « J’avais ce prototype de peluche de tortue [la marionnette]. Elle faisait deux pieds de haut. J’étais entraîneur dans une équipe de football et au moment de rentrer à la maison, j’avais apporté cette chose dans les vestiaires. Tout le monde a adoré ». Le directeur commercial américain de Playmates Ron Welsh se remémore « Ils ont rapportés le comic book. Je n’étais pas très familier avec les comics, alors j’ai demandé à mon fils de le lire. Il est revenu et m’a dit « Papa, c’est trop cool! ».
Bien entendu, il n’était pas possible pour Playmates Toys d’adapter directement le comic pour les enfants. L’histoire de base était bien trop sombre. Les tortues n’hésitaient pas à tuer leurs ennemis, comme Shredder. Le comic aux États-Unis était à l’époque classé PG13 (accord parental souhaité pour les enfants de moins de 13 ans). Toutefois, l’esprit qui y régnait était parfait selon les responsables de chez Playmates.
Lorsqu’Aaronian et Handy présentèrent au bout de trois mois les premiers croquis de ce qu’ils comptaient proposer, tout le monde dans la salle était très sceptique, et avant tout contre eux. Tous, sauf Richard Sallis ne tarissait pas d’éloges après leur réunion. Comme le rappelle Mark Freedman dans Turtle Power, The definitive history of the Teenage Mutant Ninja Turtles, il était totalement inutile de lancer une gamme de jouets sans un support promotionnel par derrière. Si les chiffres de vente étaient excellents pour un produit indépendant, le comic n’était connu que d’un public avisé. Freedman explique que « Le comic n’avait pas un grand public, suffisant. Nous savions qu’avant de vendre un seul jouet, nous devions produire une histoire animée. Nous devions raconter l’histoire à la télévision pour les enfants ».
Des jouets au dessin animé
Richard Sallis est très vite conquis par les personnages des comics. Il voyait dans cette licence tout le potentiel nécessaire pour briser le sérieux instauré jusqu’alors dans le monde du jouet par des licences comme G.I. Joe. Le directeur du marketing déclarait en 1988 au New York Times que « Les tortues apportent de nouveau du fun dans les figurines d’action. Elles aiment la vérité, la justice et les parts de pizzas. On ne peut pas les prendre au sérieux, et les enfants le voient bien ». Un habile mélange de légèreté et de justice, le tout avec une grande part d’éléments rappelant que les héros sont des adolescents !
Kevin Eastman et Peter Laird ont été conviés au siège de Playmates Toys en Californie pour aborder le développement des figurines avec Richard Sallis et Bill Carlson. C’est finalement en décembre 1986 que le premier contrat fut signé avec le fabricant de jouets.
La recette du succès de la vente des jouets était très simple. Pour toutes les licences. Il fallait pouvoir créer un support capable littéralement de faire la publicité de cet univers, à une tranche horaire idéale et sur une longue durée. Explorer cet univers et faire saliver son public cible. Cette puissante arme était un dessin animé. Cette option était celle qui avait été envisagée dès le départ par Mark Freedman lorsqu’il cherchait un produit à promouvoir par sa jeune entreprise, Surge Licensing. Il était parvenu à convaincre Playmates de financer cinq épisodes pilotes des tortues pour tâter le terrain. Ce pilote de 100 minutes servirait à promouvoir les figurines qui devaient être lancées au même moment. Ils obtenaient même un financement de la part de l’International Video Entertainment.
La suite alla très vite. Jerry Sachs, publicitaire chez Playmates Toys marqua un rendez-vous avec le producteur de séries Fred Wolf. Ce dernier raconte « C’était en 1985 ou 1986 qu’une entreprise publicitaire du nom de Sachs Finley est entrée en contact avec moi avec un comic qu’elle mit sur ma table et me dit « Fred, tu peux faire un dessin animé avec ça ? ». J’ai commencé par regarder le titre, et je lui ai répondu « C’est cool ! Je vais jeter un œil mais je peux vous dire que je peux faire un dessin animé avec n’importe quoi ».
La réalisation scénaristique devait être confiée initialement à Chuck Lorre, à qui l’on doit des sitcoms aujourd’hui très connues comme The Big Bang Theory. À cette époque, le scénariste s’occupait encore de dessin animés mais son emploi du temps s’annonçait des plus remplis. En effet, Lorre tenait à changer d’horizons et passer au monde des séries. Il conseilla alors à Fred Wolf un de ses confrères qu’il voyait parfaitement dans ce rôle. David Wise. Wolf le dit encore aujourd’hui à travers le documentaire Turtle Power, « Wise est sans doute l’Homme à qui l’on doit l’atmosphère de ce dessin animé ». D’ailleurs, lorsque Fred Wolf contacta David Wise pour lui proposer le poste, ce dernier connaissait déjà les Tortues Ninja à travers les comics, dont il possédait les cinq premiers numéros. La recette ne pouvait que fonctionner !
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De l’ombre à la lumière
(1987-1989)
Bibliographie
Note : Les sources notifiées par un « VF » indique qu’ils sont en français.
Livres
- FARAGO A., TMNT : Toute l’histoire des Tortues Ninja, Huginn & Muninn, septembre 2014, 192 pagesVF.
- FAWCETT C., Rad Plastic, TKAF Productions, janvier 2021, 400 pages.
Sites internet
- 1 Blast from the Past #294: Turtle puppet and Corben cover art, Peter Laird’s TMNT Blog (17 avril 2010) ⇑
- 2 A review of « Teenage Mutant Ninja Turtles: The Ultimate Visual History » by Andrew Farago, Peter Laird’s TMNT Blog (1er juillet 2014) ⇑
Documentaires vidéos
- Turtle power, The definitive history of the Teenage Mutant Ninja Turtles, ELLIOT-FISHER I., HUSSEY M., LOBB R., FauxPop Media, 2014.
- L’Antre du Mea : Les jeux TORTUES NINJA – seconde partie –, Meeea (mars 2015) (Youtube)
Crédits Photos
- Instagram tOkKa
- Gogreenmachine.org
- Turtle Power, The definitive history of the Teenage Mutant Ninja Turtles, Randall Lobb, documentaire (2014)
- Blast from the Past #294: Turtle puppet and Corben cover art, Peter Laird’s TMNT Blog (17 avril 2010)