⇐ Vers l’article précédent
La mission de Mark Freedman (1986)
En 1986, le projet Tortues Ninja était sur le point de naître. Eastman et Laird avaient signés, Mark Freedman avait trouvé preneur pour son projet en la personne du producteur Fred Wolf. Playmates Toys quant à elle allait bel et bien réaliser des jouets à partir du support publicitaire qu’allait être le dessin-animé.
Conception des jouets
Les premières idées des concepteurs étaient de faire des personnages caricaturant ce que l’on pouvait voir à New York, du pompier au policier, en passant par le boulanger. Si, si ! La plupart des personnages qui avaient été dessinés étaient les méchants. Si au début, on était encore loin de voir Bebop ou Rocksteady dans leur version finale, les deux mutants emblématiques naquirent de mélanges de différents modèles et de la plume de Peter Laird. Deux modèles pour un prototype de Tortue Ninja furent montrés aux deux créateurs de la licence à leur venue au studio de Playmates en Californie, en janvier 1987. Le premier était très similaire à la version finale que nous connaissons tous. Mais le second était bien plus grand, et avec un grand nombre de détails. John Handy dans Turtle Power confie que le prix de ces jouets aurait pu être bien plus important s’ils s’en étaient tenus à ce format, avec des détails très précis, et certains personnages très musclés. Laird et Eastman, bien qu’appréciant le style du grand modèle, furent totalement séduits par le plus petit.
L’un des plans des concepteurs était d’aller le plus loin possible dans leurs idées, sans limites, afin ensuite de faire le tri pour voir ce qui allait être réellement réalisable. Les choses les plus folles furent imaginées. Ils voulaient également surfer sur la vague de succès de certaines grandes marques comme les Maîtres de l’Univers. Un exemple indéniable est l’un des prototypes, resté sous forme de dessin, du premier repaire des tortues. Il devait être inspiré du château Grayskull, avec un visage taillé dans la pierre des égouts. Quelque chose de complètement fou ! Finalement, ils se rendirent compte que leur projet allait trop loin, allant aux limites du surnaturel, ce qui n’aurait pas fait réellement de sens dans l’histoire qu’ils préparaient en parallèle.
Il fallait aussi que les tortues soient moins complexes tout en restant plus réalistes. L’un des croquis préparatoires finaux de Leonardo est daté du 31 mars 1987. Peter Laird était de cet avis également. Il fallait faire un jouet de petite taille, un peu comme un G.I. Joe, avec 9 centimètres de hauteur. Cela faciliterait par ailleurs la réalisation des véhicules mieux adaptés avec ce type d’échelle ainsi que la production qui faisait ainsi de grandes économies. Chaque véhicule devait avoir la marque de fabrique des tortues, avec des références à leur visage, leur couleur de peau ou leur carapace, comme c’est le cas du Turtlecopter, ou du Party Wagon. Les personnages devaient avoir une posture dynamique, avec les jambes et les bras fléchis pour ne pas donner l’impression de jouets mal articulés et droits comme des branches sèches.
Les figurines furent dans un premier temps créées par l’atelier de Steve Varner à qui l’on doit un très grand nombre de personnages et de croquis. Il raconte « On ne m’a montré que le comics et c’était à moi de créer la propre version [du jouet]. Pour les premiers [personnages] il n’y avait pas de dessins, j’ai dû tout faire en 3D. Je me suis dit « Ok, c’est ça que je ferais si c’était exactement que je l’aimerais ». La seule différence qu’elle avait [la première tortue qu’il sculpta] une queue que nous avons retirée. Outre cela, c’était la même ».
Un autre problème qui se posait, la couleur de leur bandana. Dans le comic original, toutes les tortues avaient un bandeau rouge. La seule manière de les différencier réellement était à travers leurs armes. David Wise explique « Si vous avez quatre personnages, surtout s’ils se ressemblent, il est important de leur donner des personnalités distinctes. Dans le comics, la seule manière de les différencier, c’est à travers leurs bandanas ». C’est alors que Peter Laird eut l’idée brillante de donner un bandeau de couleur pour chaque tortue. Au moment de créer le comics, c’était un détail sur lequel Kevin Eastman et Peter Laird ne s’étaient pas encore réellement attardés, d’autant plus que leur comic était en noir et blanc. Il fut alors choisit de donner un bandeau de couleur selon la personnalité, qui fut accentuée, pour les tortues. Le bleu royal pour Leonardo, le chef, et laisser le rouge pour un Raphael enragé. L’orange pour un Michaelangelo farceur, et le violet de la paix et de la réflexion pour Donatello1.
Pour renforcer cette différenciation, la couleur de la peau des tortues allait subir des variations, et la boucle de leur ceinture se verrait décorée d’une lettre, l’initiale de leur prénom. Cette recette de la différenciation a fait succès, et fonctionne encore très bien aujourd’hui. Elle a été rappelée encore récemment par Adam Brown sur le plateau du Hobbit de Peter Jackson par exemple ! 2
Du petit écran aux rayons des magasins
Le dessin animé sortit durant les vacances de Noël. Diffusé à partir du lundi 28 décembre 1987, les épisodes devaient se révéler tout au long de la semaine.
La première saison, qui était un lancement, ne comprenait que cinq épisodes qui devaient faire vendre les figurines. Toutefois, le dessin-animé ne fut pas un succès immédiat. Il fallut réellement attendre la troisième diffusion de cette première saison, quelques semaines après, pour que le déclic se fasse réellement. Peter Laird raconte son ressenti en voyant commencer le premier épisode de la série, le 28 décembre « Quand c’est apparu dans le programme TV puis que le dessin animé ait été diffusé avec une bonne audience, on était assis dans la salle et je me suis dit « Mon Dieu, ça arrive vraiment. Incroyable ! […] Je me souviens que c’était assez surréaliste par ce qu’on avait fait ça pour nous amuser. Et ça a pris réellement vie ».
Fred Wolf était plus que satisfait, mais fut surpris lorsqu’il appela Playmates et qu’aucune suite n’avait encore été prévue. En effet, à l’époque c’était l’entreprise de Mark Freedman, Surge Licensing, qui avait la totalité des droits de la série. Il contacta alors Freedman pour avoir son avis sur la poursuite de l’aventure. L’homme s’était réellement investit depuis deux ans dans cette histoire et ne pouvait finalement qu’accepter et vendit les droits à Wolf, qui put alors créer la Murakami-Wolf-Swenson Productions.
Les figurines avaient été présentées quant à elles au cours du Toy Fair de février 1988, avant d’être vendues en juin. Le dessin-animé venait d’être diffusé et ne bénéficiait pas encore d’une bonne visibilité. Ceux qui virent ces « bouts de plastiques » pour la première fois eurent la même réaction que les géants qui tournèrent le dos à Mark Freedman en 1986 alors qu’il cherchait un fabricant pour son projet. Si les figurines étaient une nouvelle fois moquées de tous, Toy R’Us, qui allait les vendre en avant-première était quant à lui très enthousiaste et n’hésita pas à faire une grosse commande. Ils avaient raison. Pour Noël 1988, les rayons des magasins de jouets étaient dévalisés. La fièvre acheteuse qui avait déjà frappé avec des grosses licences comme Star Wars dans les années 1970′ s’emparait des TMNT, qui allaient bientôt devenir l’une des meilleures ventes de jouets de l’histoire.
Fort du succès de la première saison, Fred Wolf voulut lancer une suite avec 13 épisodes. Il contacta dans un premier temps le Groupe W (possédant de nombreuses chaînes de télévision et de radio) pour en faire la couverture publicitaire. Ces derniers refusèrent car le contrat initial était trop cher pour eux, alors que le projet était trop incertain. Ils s’occupaient à cette époque des Maîtres de l’Univers, et les Tortues Ninja n’étaient alors rien à côté du succès mondial de Musclor et compagnie. Après avoir essuyé le refus de grandes chaînes, Wolf proposa une baisse d’un million de dollars au Groupe W. Il s’agissait d’un vrai pari, car il ne possédait pas cette somme, et dû trouver un travail en parallèle pour financer la série.
Mais cette nouvelle saison ne compterait pas avec le génial David Wise qui avait donné l’âme même des Tortues Ninja revisitées pour les enfants. Il n’écrivit que le scénario du premier épisode, Le retour de Shredder, avant de s’en aller momentanément. Il fut remplacé par Jack Mendelson qui préféra rendre la série humoristique, voire parfois ridicule, plutôt que de rester sur des scénarios un minimum sérieux. Ce qui a beaucoup contribué à la chute de qualité et du sérieux des scénarios, devenus par la suite très simplistes voire parfois aux limites du stupide.
De la même manière que pour Mark Freedman qui avait essuyé de très nombreux refus lorsqu’il cherchait preneur à son projet Teenage Mutant Ninja Turtles en 1986, Wolf avait également essuyé le refus des trois grandes chaînes télévisées américaine à cette époque, ne croyant pas à son dessin-animé. Et de la même manière que pour Freedman, ces derniers s’en mordirent les doigts. Wolf travaillait avec Judy Price de la CBS à cette époque et cette dernière semblait intéressée par un contrat pour diffuser les Chevaliers d’écailles. Quelques semaines après en avoir parlé avec Fred Wolf, la CBS commanda ni plus ni moins de 26 épisodes supplémentaires.
Si la seconde saison ne comprenait que 13 épisodes, les deux suivantes n’en comprirent pas moins de 47 et 39 respectivement ! Pourquoi un tel nombre en si peu de temps ? Aux États-Unis, une série est considérée comme rentable à partir du moment où elle est rediffusée au moins quatre fois dans la même année. Mais pour cela, elle doit atteindre le nombre de 65 épisodes s’il s’agit d’un dessin-animé. Ainsi dès la fin de la saison 3, la série parvenait à atteindre ce chiffre symbolique des 65 épisodes et devenait entièrement rentable !
Afin de savoir si le projet de commande de 47 épisodes au lieu de 26 était viable, l’équipe de production décida d’attendre le taux d’audience du premier épisode de la seconde saison pour prendre sa décision3. Les chiffres des années suivantes parlent d’eux-mêmes.
À cette époque, les tortues apparurent à l’écran pendant les cinq jours de la semaine, puis le samedi, voire même le dimanche durant une courte période. Il fallait à cette époque entre six et sept semaines pour dessiner un épisode entier et six nouvelles semaines pour le doubler et le finaliser entièrement. Une véritable équipe fourmillait aux studios pour produire les lourdes saisons du début des années 1990.
Mais les Tortues Ninja n’attiraient pas que les États-Unis. Déjà à l’époque de la diffusion de la première saison, les pays anglophones comme le Canada, l’Australie, la Nouvelle Zélande et la Grande Bretagne semblaient intéressés par la série. La volonté d’exporter la série notamment en Europe entraîna malgré tout certaines contraintes, comme les nunchakus de Michaelangelo, alors censuré dans une grande partie des pays de l’ancien continent, considérés comme des armes de torture. Ainsi partir de la saison 4, la tortue se voit attribué un simple grappin, malgré ses nunchakus attachés à la ceinture, dans son dos.
Mais ce n’est qu’un détail, et la série était loin de s’arrêter pour si peu!
Vers l’article suivant ⇒
Un succès retentissant
(1988-1990)
Galerie
Retrouvez ci-dessous différentes images qui ont permis de voir la création notamment de Bebop et Rocksteady. A savoir que Bebop aurait dû s’appeler initialement Hog Jaw (Dent de Porc) et que le prototype original de Rocksteady fut repris pour réaliser sa figurine de Gatekeeper Rocksteady pour la série des Warriors of th Forgotten Sewer (1994). Le taureau visible sur la seconde image de la galerie ci-dessous quant à lui inspira la figurine du Warrior Bebop, sortit pour la même gamme.
Sources
- 1 Clutter #34, janvier 2016 (Magazine à lire sur ce lien) ⇑
- 2 Purebreak.com, Bilbo le Hobbit : les Tortues Ninja ont-elles inspiré les nains ? (14 décembre 2012) ⇑
- 3 TV’s Teenage Mutant Ninja Turtles (Will Murray), Comics Scene d’octobre 1988, p. 32 ⇑
- Blast from the Past #20: Original Turtle Action Figure Prototypes, Peter Laird’s TMNT Blog (10 octobre 2008) ⇑
- L’Antre du Mea : Les TORTUES NINJA PARTIE 3 – La série et les jouets, MrMeeea (mars 2015) (Youtube)
- Teenage Mutant Ninja Turtles, Toute l’histoire des Tortues Ninja, Andrew Farago, Huginn & Muninn, Paris – San Francisco (2014)
- Turtle Power, The definitive history of the Teenage Mutant Ninja Turtles, Randall Lobb, documentaire (2014)